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Ou la lire
Il existe plusieurs façons de lire une œuvre littéraire. Je ne fais pas référence aux 4 types de lecture si chers aux profs de français qui ne manquent pas une occasion de nous rappeler les 4 types de lecture : sélective, en diagonale, de base ou active. Ce qui pour moi est incomplet, car j’en sais une autre qui se moque bien des étiquettes, la lecture plaisir.
L’œil du chat appartient à la catégorie lecture plaisir.
Cependant, il existe plusieurs types de plaisir… Et cette fois çi je ne fais pas référence aux 4 types de plaisirs si chers aux psychiatres qui à leur tour ne manquent pas une occasion de nous rappeler qu’il convient de différencier 4 types de plaisirs : le physioplaisirs (les 5 sens) le socioplaisirs (les relations) le psychoplaisirs (la création quelle qu’elle soit… Et enfin l’idéoplaisirs [lecture, réflexion, méditation, imaginaire, contemplation…]
Je vais pour ma part opter pour un ton moins professoral en prenant pour comparaison, le plaisir que l’on peut ressentir lorsque l’on boit une bonne bière bien fraîche après l’effort, un jour de grande chaleur, d’une part et, d’autre part, le plaisir de siroter un vénérable whisky de 30 ans d’âge, un soir d’hiver, assis dans un fauteuil, posé préalablement devant l’âtre qui crépite.
Deux plaisirs tout aussi jouissifs, certes, mais fondamentalement différents.
La bière, on l’avale d’une traite… Sa fraîcheur, son amertume, sa pétillance, sont autant de plaisirs immédiats, si éphémères que bien souvent, il nous est nécessaire d’en boire une seconde sur-le-champ.
Le whisky lui, on le regarde, on le renifle, écoutant ses senteurs nous murmurer une foule de détails. Enfin on le boit par toutes petites gorgées annonciatrices d’arômes. On garde le nectar en bouche. Une fois avalé, il est toujours là, un peu partout… On suit sa progression. La dégustation d’un modeste verre peut durer des heures. Il y a tellement de choses à rencontrer dans la dégustation un excellent whisky.
J’ai lu plusieurs bouquins de Didierjean. Ses ouvrages de fantasy, je les ai bus presque sans reprendre mon souffle. En étanchant ma soif irrépressible d’aventures, de mystères, de magies, de merveilleux, de quêtes oniriques, ils ont fait le boulot d’une bonne bière qui dessoiffe.
L’œil du chat appartient à la cuvée whisky. J’ai eu besoin de temps pour le lire. J’ai dû parfois le poser, passer à autre chose, relire certains paragraphes, voire de simples phrases. Il y a tant de choses à renifler dans les parfums de ce bouquin. Jeux de mots, mots inventés, salades de mots, mots détournés, rébus de mots, mots complices, mots mystères… Tout tourne autour des mots. Prenant à la lettre l’interrogation de Boris Vian dans les bâtisseurs d’empire :
« Je me demande si je ne suis pas en train de jouer avec les mots. Et si les mots étaient faits pour ça ? »
Didierjean joue avec les mots. Il les triture, il les assemble, il leur donne vie. Il nous offre le spectacle intimiste d’un groupe d’amis intello littéraire délicieusement pédant qui au cours de leurs soirées conceptuelles, croisent, non pas le fer, mais le verbe. Et finalement, le chat qui parle ne devient qu’un détail… Comme tous les greffiers du monde, le matou cherche à s’approprier le premier rôle. Ce qu’il dit nous amuse cette, mais sans vraiment nous surprendre. On se dit que… oui, finalement, si mon chat causait lui aussi… Voilà sans doute ce qu’il dirait… Finalement, tout est normal.
J’ai apprécié ce livre que j’ai dégusté à petites gorgées, m’attardant sur ses proverbes imaginés, sur ses discours intelligemment délirants, sur ces arguments bringuebalants. Je l’admets, je ne sais pas si tout lecteur parviendra instantanément à s’installer à la table de cette bande d’amis à la conversation si brillante… Comme le dit encore Boris Vian, très présent dans cet ouvrage :
« Si on veut faire quelque chose de différent il faut s’attendre à ne pas rencontrer la compréhension tout de suite. »
Et ce bouquin est différent, car il surprend.
Cher auteur au chat, pour clore cette rubrique je citerai une dernière fois l’ami Boris en vous offrant l’une de ses pensées les plus fortes :
« Un bon chien vaut mieux que deux kilos de rats. »
Moi je dis rien, mais je dis ça !
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