Un salon du livre meurtrier d'Isabelle Boscher
- Jean Benjamin Jouteur
- il y a 15 heures
- 4 min de lecture

J’ai lu « Un salon meurtrier d’Isabelle Bosher et, disons-le d’emblée, Isabelle nous sert une idée aussi improbable qu’irrésistible : faire d’un salon littéraire le théâtre d’un meurtre.
Un meurtre ! un vrai. Pas un symbolique ni un métaphorique : Un meurtre avec cadavre, flic, enquêtrice, suspects… et, comble du raffinement, une pléiade d’auteurs coincés dans la salle des fêtes sans même la consolation de pouvoir vendre leurs bouquins. (Ce qui ne les change guère pour certains).
Le comble du supplice pour un auteur de polar : être suspecter sans même pouvoir écouler son stock...
Mais, ce bouquin n’est pas qu’un polar. C’est aussi, et même surtout, un regard drôle, tendre et un brin caustique sur ce petit monde des salons littéraires, avec ses espoirs, ses angoisses, ses mini-conférences désertées et ses auteurs plus nombreux que les lecteurs (un grand classique du genre).
Dame Isabelle, qui signe ici son second roman, a manifestement observé tout cela avec un mélange de naïveté amusée et de lucidité désarmante. Et c’est précisément ce regard neuf qui rend son récit si attachant.
D’habitude, un huis clos, c’est quelques personnes dans un manoir avec une tempête dehors. Ici, c’est une cinquantaine d’auteurs dans une salle polyvalente, coincés entre deux tables de dédicaces, des organisateurs depassés, et des piles de polars autoédités.
Le décor est planté, et l’autrice va pouvoir s’amuser comme une gosse.
Elle nous fait entendre le brouhaha des conversations, le pitch ho combien répétitif des plumiers. Elle parvient même à nous faire respirer l’odeur du café tiède, du food-truck à l'entrée et du papier frais.
On s’y croirait.
On y est.
Et quand le meurtre survient (car il faut bien un meurtre), on n’est pas vraiment surpris. D’ailleurs, la victime était désignée depuis le premier chapitre, désignée, soulignée, presque surlignée au stabilo.
On se dit : non, ça ne sera pas lui... elle ne va pas oser…
Eh bien si. Isabelle ose. Et c’est justement ce culot bon enfant qui fait tout le charme du roman. Preuve que « Les auteurs, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît » (Je cite Audiard en me permettant toutefois de changer un mot).
Bref !
Donc, nous voici avec une victime gravement morte précédant l'entrée en scène de Madame Rose, une enquêtrice amateur pleine d’aplomb, un genre de Miss Marple locale, mais avec une carte de bénévole de médiathèque et un flair redoutable. Elle va tenir tête au policier de service, le bien nommé inspecteur Furet, aussi lent à comprendre qu’un dimanche d’hiver à Quimperlé.
Au passage, concernant les noms… L’autrice se lâche. Entre une voyante baptisée Madame Voitout, un médecin nommé Docteur Seringue et une dame Étoile, on se croirait dans un Cluedo monté par les Inconnus après trois cafés et deux croissants. On pourrait crier au délire, mais non : ça fonctionne. D’ailleurs pour la petite histoire, et je n’invente rien, j’ai connu un dentiste qui s’appelait docteur Chico... Alors pourquoi pas un docteur Seringue ?
Ce ton gentiment absurde ajoute une distance humoristique bienvenue, et l’on sent qu’Isabelle s’amuse à mettre en scène ce petit théâtre d’auteurs-égo et de lecteurs fantômes.
Allez, un peu de sérieux dans cette chronique qui part à vau-l'eau.
Le polar est un prétexte, la comédie une évidence, et le témoignage d’auteure débutante un vrai fil rouge. Car avant d’être une affaire criminelle, ce bouquin est un hommage (taquin) à ces salons où l’on rêve de dédicacer à tour de bras, mais où l’on finit souvent à papoter avec ses voisins de table, une main sur le stylo, l’autre sur la cafetière.
L’autrice décrit ces instants avec une justesse et une tendresse qui parleront à tous les auteurs passés par là. Oui, ces moments où quand la mini-conférence attire plus de cinq personnes on estime qu’elle s’est donnée à guichet fermé.
Et puis, quel auteur n’a pas connu ce moment hors du temps lors duquel un lecteur s’approche, feuillette votre livre, et vous dit ?
— Oh, c’est bien écrit… Vous le vendez ?
— Non, je l’expose pour le fun... Je plaisante, en fait, j’ai vu de la lumière et je suis rentré.
L’enquête, elle, n’est pas en reste.
OK, elle ne prétend pas révolutionner le genre, elle aurait plutôt tendance à le pasticher avec une habileté et une simplicité jubilatoire. On pense à Agatha Christie et à son Crime de l’Orient-Express, transposé dans une salle des fêtes municipale avec option nappe en plastique et micro qui grésille.
Autre clin d’œil au chef d’œuvre d’Agatha, chaque personne présente, auteur ou visiteur, avait une bonne raison de vouloir la peau du défunt (et le lecteur aussi, à la longue), et l’ensemble avance à pas feutrés, entre humour noir et clin d’œil bienveillant.
Ce livre n’est pas destiné aux amateurs de thrillers sanglants et encore moins aux allergiques de l’autodérision. Il s’adresse principalement à ceux qui aiment les coulisses du monde littéraire, les situations cocasses, les personnages un peu barrés, et les intrigues qui se prennent moins au sérieux qu’elles en ont l’air.
C’est une comédie de mœurs, un petit théâtre du livre, un roman-jeu sympathique et un brin déjanté.
Et surtout, c’est un roman écrit avec cette fraîcheur qui manque parfois aux polars trop calibrés. On y sent l’envie, la joie d’écrire, le plaisir de raconter, et l’humour d’une autrice qui ne cherche pas à en mettre plein la vue, mais à embarquer son lecteur dans une farce littéraire pleine de tendresse.
Donc (et pour résumer) un polar joyeusement désinvolte, un Cluedo de salon du livre, un hommage malicieux à l’univers des auteurs en dédicace...
Dame Isabelle signe là un second roman aussi espiègle que prometteur, où l’on rit autant de l’enquête que de soi-même. Et franchement, après ça, on regardera les salons du livre d’un autre œil.Surtout si quelqu’un s’écroule entre deux piles de romans.
D’ailleurs, par précaution, la prochaine fois qu’un auteur vous invitera à son stand avec un grand sourire en vous disant :
« Venez donc, je vais vous dédicacer un de mes ouvrages ! »
Vérifiez bien qu’il ne tient pas, serré dans sa main, un coupe-papier (ou autre objet contendant). On ne sait jamais, avec ces gens-là…
Les auteurs tueraient pour un bon mot.



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